Quelle est la recette de l'Univers ? Ce premier numö©ro de l'annö©e, habillö© en un clin d'å“il artistique ö  la Andy Warhol, sous la forme d'une boö®te de conserve de soupe Campbell's, pourrait n'öªtre qu'une formulation ludique de la fameuse question : de quoi est constituö© le cosmos ? L'ö©tiquette est d'autant plus parlante qu'elle en livre la composition chiffrö©e. Le nombre d'ö©toiles, de galaxies, de planö¨tes ; la prö©sence de gaz et de trous noirs ; sans oublier les neutrinos, dont l'ö©tude fine fut rö©compensö©e en 2015 par un prix Nobel. Rien que du sö©rieux, donc. Du solide et du vö©rifiö©. Pourtant, la recette de cette "soupe primitive" a toutes les raisons de nous plonger dans la perplexitö©. Deux ingrö©dients majeurs, la matiö¨re noire et l'ö©nergie sombre, comptant, pour le premier 27 %, et 68 % pour le second, soit un total de 95 %, sont des fantö´mes... Des inconnus dont on ignore la nature et la forme, mais dont on mesure chaque jour de mieux en mieux l'influence sur la matiö¨re et l'espace. Autrement dit, sur tout l'Univers. Sur toutes les galaxies - des centaines de milliards ; toutes les ö©toiles - plus nombreuses dans le ciel que les grains de sable ö  la surface de la Terre ; toutes les grandes nö©buleuses de gaz et de poussiö¨res, sans oublier la multitude des planö¨tes ; tout cela ne compte "que" pour quelques pour cent de l'ensemble. Cinq, tout au plus !
L'affaire est donc plus sö©rieuse qu'un simple recensement d'ingrö©dients, une seule addition de composants surgis d'un four chauffö©s ö  des milliards de degrö©s. "Quelque chose" de plus, en fait, l'essentiel möªme, reste ö  identifier et ö  caractö©riser pour dö©chirer le voile qui obscurcit la cosmologie moderne. Son immense progrö¨s, acquis au XXe siö¨cle, c'est de savoir qu'elle ne sait pas. De mesurer cette ignorance. Et de dö©ployer depuis plus de vingt ans, au sol comme dans l'espace, des guetteurs et des piö¨ges ö  fantö´mes ö©vanescents. C'est cette histoire que nous racontons en dö©tail dans le dossier de ce numö©ro. Du local au global ; des mesures de masses de galaxies, ö  leur fuite accö©lö©rö©e par la dilatation rapide de l'espace-temps. Cette quöªte multisö©culaire de la curiositö© humaine dont on reste convaincu que les questions - autant que les rö©ponses - nous enrichissent individuellement et collectivement. Qu'elle nous ö©lö¨ve, hors frontiö¨res et cultures, par l'ö©change et le partage d'informations et d'idö©es. Qu'elle nous ö©loigne nö©cessairement de la barbarie, du fanatisme, des intö©grismes de tous poils et de son corollaire, la violence.
Mais lö  aussi, l'histoire est loin d'öªtre ö©crite. Dans bien des lieux et des töªtes, la planö¨te Terre est au centre de l'Univers. Et ce gö©ocentrisme-lö  n'est sensible ö  aucun argument scientifique. Le ciel n'y est, tout au plus, qu'un dö©cor : celui du domaine des dieux. Il ne s'observe pas ; il ne se questionne pas. Comme il n'a pas d'histoire, il n'a pas, non plus, d'avenir... Comment, dö¨s lors, ouvrir les esprits ö  la connaissance, ö  la culture, au questionnement et au röªve ? ö€ l'Univers, bien sö»r, mais plus largement encore, ö  la Nature et ö  la vie, aux autres et ö  leurs diffö©rences. Ce travail de Sisyphe, aujourd'hui plus encore, est d'une nö©cessitö© impö©rieuse. Il doit öªtre partagö© entre personnels d'ö©ducation, bien sö»r, mais aussi scientifiques, artistes, associations, et toutes les personnes dont les valeurs, la morale et l'ö©thique refusent les mondes clos. Lö , il n'y a pas de recette miracle, juste un besoin d'action. Dans une urgence vitale.

Alain Cirou
Directeur de la rö©daction